Sommaire général
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LA VIE QUOTIDIENNE

L’HABITAT
L’espace habitable 
Le mobilier 

LE QUOTIDIEN
L’habillement 
L’alimentation 
La santé 

LA CULTURE POPULAIRE
Croyances et superstitions
Coutumes et traditions 
Les loisirs 

CROYANCES ET SUPERSTITIONS

Nous consignons ici seulement les croyances et superstitions que nous avons recueilli auprès de personnes dont la sincérité ne pouvait être mise en doute. Nous complétons par quelques précisions lorsque nous sommes en mesure de le faire. Certaines figurent dans les collectes déjà publiées par des folkloristes, d’autres, par contre, ne figurent pas dans celles que nous avons consulté.
L’un des caractères essentiels du folklore est la complexité, aussi n’avons nous pas dissocié les croyances des superstitions car elles s’imbriquent souvent les unes les autres. La superstition que l’on peut considérer comme une forme poussée de la crédulité, a été le partage de tous les peuples et l’humanité n’en est pas encore débarrassée car elle prend parfois des formes nouvelles, parfois les plus inattendues. Souvenons-nous de ce qu’écrivait Platon: "L’homme qui doit toute son instruction à l’écriture, n’aura jamais que l’apparence de la sagesse".
Dans le chapitre consacré à la santé, nous avons déjà évoqué la médecine populaire, aussi nous n’y reviendrons pas. Nous parlerons ici des croyances et superstitions qui accompagnent l’homme du berceau à la tombe, qui marquent sa vie quotidienne et aussi des esprits bons ou mauvais qui l’environnent.

DU BERCEAU À LA TOMBE

NAISSANCE ET ENFANCE

Nous n’avons pratiquement rien recueilli sur la naissance ou l’enfance mais on doit en trouver dans les collectes déjà effectuées, qui avaient cours en Lomagne. Nous en donnons seulement une:

Quand un enfant allait pour la première fois dans une maison, on lui donnait un œuf pour qu’il parle plutôt.

MARIAGE

Si une personne désirant se marier voulait connaître son futur conjoint (nom, profession, etc...), il devait casser un œuf la veille de la Saint-Jean, mettre la glaire dans un verre d’eau et l’exposer dehors pendant la nuit. Le lendemain matin il pouvait lire les renseignements désirés.

A l’église, quand le marié passait l’anneau au doigt de la mariée, s’il s’arrêtait avant le dernier nœud, elle serait la maîtresse, s’il le franchissait, ce serait lui le maître.

Au retour du cortège, on plaçait un balais en travers de la porte. Si la nouvelle mariée l’enlevait pour passer, elle serait une bonne ménagère; si elle l’enjambait, elle serait une " selhana " (une désordonnée). Au moment de franchir le seuil de la maison de son nouvel époux, le maître de maison lui donnait la main.

LA MORT

Lorsque quelqu’un mourait dans une maison, on arrêtait le balancier de la pendule. On mettait un voile noir devant les ruches sinon les abeilles mouraient. Non seulement on ne travaillait pas avec le bétail, mais on ne le faisait pas sortir de l’étable.

Autrefois quatre hommes portaient le cercueil (" la caisha ", la caisse) sur les épaules de la maison mortuaire à l’église. Ensuite vint la coutume de le transporter avec une charrette à bétail ou une voiture à cheval. Au cimetière, lorsque le cercueil était descendu dans la fosse, chacun des assistants y jetait une petite motte de terre.

Certains signes pouvaient annoncer la mort prochaine comme un oiseau venant frapper du bec la vitre de la chambre du futur défunt.

La majorité des familles étaient disait-on, l’objet de réclamations d’outre-tombe sous les formes les plus diverses qu’il fallait satisfaire.

 

LA VIE QUOTIDIENNE

NOEL

On disait que pendant la messe de minuit, le bétail se mettait à genoux et qu’il arrivait malheur à ceux qui voulaient rentrer dans l’étable pour le voir.

Les paysannes conservaient du charbon de la bûche de Noël. Elles le mettaient dans le vin ou l’eau qu’elles donnaient à boire aux petits poussins ou dindons ce qui les protégeaient contre les oiseaux de proie comme la buse.

LA MÉTÉOROLOGIE

Les calendes (" las calandras "), d’après les renseignements recueillis en Lomagne orientale, étaient les six jours séparant Noël du Premier de l’An. Le temps qu’il faisait pendant chacun d’eux correspondait à celui de chacun des six premiers mois de l’année.

Plusieurs signes annoncent la pluie :

- lorsque les maisons blanchissent au soleil. - lorsque les pigeons se lavent.

- lorsque, dans l’étable, plus de la moitié des animaux sont couché du même côté.

- lorsque les poules se grattent dans la poussière ou s’éloignent de la maison.

- lorsque les meubles craquent.

- si on enlève les cendres du foyer le dimanche, il pleut le jour de la lessive.

Le vent que l’on bénit le jour des Rameaux est celui qui soufflera le plus le restant de l’année. Les orages viennent de ce côté. Ces derniers sont mauvais lorsque les pies construisent leurs nids sur les branches basses.

L’orage, le feu du ciel, que souvent les curés dans leurs prêches traduisaient comme la colère de Dieu, était redouté ne serais-ce que pour la destruction des récoltes sur son passage. On pouvait le conjurer avec trois petits grains de sel car il était souverain contre les puissances infernales. On plaçait un morceau de fer dans le nid des glousses pour les protéger. On allumait un cierge dans chaque maison et l’on récitait des prières. On prétendait qu’en faisant du feu on pouvait le chasser. Dans de nombreuses paroisses on sonnait les cloches pendant les orages.

CROYANCES DIVERSES

Ce qui annonce un malheur :

  • mettre les couteaux en croix.
  • casser un miroir.
  • quand les pie chantent près de la maison.
  • quand on balaye le plafond de l’étable.

Quand une personne dit la même chose qu’une autre, il faut toucher du bois.

 

MAGIE ET SORCELLERIE

Nous avons vu que les apôtres puis les premiers évêques avaient le pouvoir de guérir mais que ces derniers, fussent-ils les plus instruits, étaient de grands superstitieux. D’autre part, pendant des siècles, la médecine " officielle " cantonnée dans les villes, releva davantage de la magie que de la science. Ainsi chacun prétendait soulager et guérir par des moyens le plus souvent inexplicables ou que l’on ne tenait pas à expliquer que ce fût le miracle ou la magie.

Entre la religion et la science - tout au moins ce qu’elle représentait alors - s’appuyant sur l’une et sur l’autre, dans chaque communauté même les plus isolées, des hommes et surtout des femmes étaient les détenteurs d’un savoir magique qui permettait d’affronter, de déjouer ou de neutraliser sinon de vaincre toutes ces forces surnaturelles qui pesaient quotidiennement sur une population aux conditions de vie très précaires.

Pénétrons dans ce domaine troublant en compagnie de Dastros, le curé poète de Saint-Clar qui, en 1645, écrivit pour ses paroissiens un catéchisme en gascon ". Ouvrons le à la XXlle leçon. II y est question des "haitilhèrs" (sorciers), "ligaires" (noueurs d’aiguillettes), "deuins" (devins), "esconjuraires" (exorciseurs), "hasedors de brèus" (faiseurs d’amulettes) ‘6. Pour compléter cette panoplie de -haitilherias" (sorcelleries) ajoutons "las hantaumas" (les fantômes), "les charmes" (les charmes), "los espauents" (les épouvantes), "los posoèrs e las posoèras" (les empoisonneurs et empoisonneuses). Nous n’avons pas retrouvé en Lomagne le terme de "broish" ou de "broisha", utilisé en Béarn et une partie de la Gascogne pour désigner celui ou celle qui avait le pouvoir de guérir. D’après Cassaignau, le médecin - poète pourfendeur de sorciers et autres guérisseurs, on disait "la broca" ; si le terme n’était guère employé au masculin ("broc"), c’est que les femmes étaient majoritaires dans "la profession". N’oublions pas qu’en milieu populaire, malgré sa situation d’infériorité imposée notamment par l’église, elle a joué un rôle important sur le plan moral et éducatif en recevant et en transmettant la culture à laquelle s’intégrait plus ou moins le savoir magique. "Elles ont joué, écrit Palay, un rôle important dans notre vie sociale; leur histoire est des plus dramatiques". C’est probablement la raison pour laquelle on injurie plus facilement une femme en la traitant de sorcière, qu’un homme de sorcier.

Pour le brave curé - catéchiste, "son tots de borrèus, sinon deu cos, au mens de l’amna" (ils sont tous bourreaux, sinon du corps, au moins de l’âme). C’est que pour soigner, ils ne se contentaient pas d’utiliser des plantes , des poudres, des pommades, mais ils recommandaient des prières et des messes qui montaient vers Satan et blasphémaient Dieu et les saints . Les plus fins pouvaient s’y tromper et des pactes étaient ainsi indirectement passés avec le Diable.

II n’y avait que l’Eglise catholique - la XXIe leçon de ce catéchisme met en garde contre les huguenots tous damnés pour lutter efficacement contre tous ces dangers. avec l’eau bénite et le signe de la croix. L’un et l’autre chassaient promptement le diable et protègeraient les gens, les animaux et les récoltes, de tous les maux. Efficaces contre la vermine qui menaçait les fruits et autres végétaux, ils détournaient les coups du ciel, bourrasques et orages. Aussi était-il recommandé de faire le signe de la croix avant et après chaque repas, en se levant et en se couchant, quand on commençait n’importe qu’elle besogne.

Dastros oublie de dire que, depuis la fin du XIVe siècle, l’Eglise utilisait des méthodes plus radicales qui s’apparentaient, en Pays d’Oc, à celles de l’Inquisition contre les hérétiques cathares: la chasse aux sorcières. De nombreux procès pour sorcellerie furent intentés ‘s et la Lomagne n’y a pas échappé. Comme elle avait vu dans le Catharisme une concurrence redoutable, l’Eglise n’appréciait pas davantage celle du sorcier de village qui jouait un rôle social non négligeable car l’on avait souvent recours à lui, même ceux qui publiquement s’en défendaient. "Avec des éléments réels du folklore populaire et en s’aidant de racontars de bonnes femmes sans doute obtenus par la torture, les persécuteurs bricoleurs ont fabriqué la version du sabbat où les participants adorent un Diable-bouc. Le sabbat stéréotype. vulgarisé par les procès, se répand sans tarder dans tout l’Occident...".

Le registre des procédures juridiques, conservé encore au siècle dernier dans les archives d’Escazeaux, a révélé un long procès en sorcellerie vers 1377. Intéressant à plusieurs titres, il y est fait mention des "faxilleras" auxquelles on attribuait le pouvoir d’oppresser les gens. L’érudit Prosper Dufaur de Larrazet qui consulta ce registre ‘~ racontait qu’un vieux domestique de ses connaissances qui prétendait avoir été l’objet d’une pareille pression. disait: "Las faxillèras me carcachavan" (les sorcières me pressaient sur le corps).

 

LA MYTHOLOGIE POPULAIRE

Tout comme les civilisations grecque et romaine qui restent parmi les plus évoluées. nos ancêtres occitans. dont la leur rayonna sur l’Europe médiévale, eurent leur mythologie héritée du fond des âges, en marge du christianisme sur lequel elle empiétait d’ailleurs souvent. Aujourd’hui. par le truchement. de la photo et de l’audiovisuel nous recevons des images toutes faites ce qui a rendu notre imagination servile. Autrefois, chacun devait se les créer et comme il ne pouvait s’appuyer sur aucune référence. cette création débordait facilement dans le fantastique. II n’est que de voir les premières gravures populaires représentant des animaux fabuleux avec des légendes d’une naïveté sincère. II est fort probable que les procès de sorcellerie aient contribué à propager des clichés tous prêts chez les moins créatifs car ce que quelqu’un a vu, les autres , prétendent à leur tour en avoir été les témoins.

LES FÉES (" LAS HADAS ")

Les fées. d’origine orientale. ont été introduites chez nous par les Arabes. Nous avons recueilli peu de renseignements sur elles bien qu’elles aient tenu une place importante. La toponymie en resta marquée. A Gensac. un champ de la ferme de Ribèra (sur le cadastre), Belle-d’en-Bas (dans le langage courant), situé en bordure du ruisseau de Saint-Antoine. portait le nom de "camp de las hadas" (champ des fées). Peut-être un lieu où elles se rassemblaient?

II ne fallait pas faire la lessive le jour de la sainte Lucie parce qu’il y aurait eu une femme au coin du feu. S’agissait-il d’une fée? d’une sorcière?

LES DAMES BLANCHES (" LAS DAMAS BLANCAS ")

Dans nos légendes occitanes, elles auraient évoqué les matrones des grands châteaux seigneuriaux qui continuaient, après leur mort de fréquenter, sous forme de fantômes singuliers, les lieux qu’elles avaient autrefois habités. C’était généralement des silhouettes drapées de bianc d’où leur nom.

Au siècle dernier, sur la route de Lavit à Moissac, à hauteur du bois de Gaychanes, on disait que certaines nuits obscures, une Dame blanche se manifestait, faisant peur aux voyageurs et à leurs attelages. Quelqu’un à qui on l’avait raconté voulut savoir s’il s’agissait d’une réalité ou d’un supercherie, car à cet endroit, à la même époque on dévalisait Ies gens. Lorsque le fantôme approcha de sa voiture, il le fouetta si violemment qu’il s’enfuit en poussant des cris. II paraît que par la suite on ne revit pas la Dame blanche. Rien n’indique qu’en d’autres lieux il n’en soit pas apparu. II faut dire que certains, plus malfaisants que les esprits en question, abusaient de la crédulité populaire.

" LO BOC DE BITERNA " (LE BOUC DE BITERNE)

Cet animal imaginaire nous a beaucoup intrigué pendant notre enfance car nous l’avions découvert dans un conte récité à la veillée sans que l’on puisse nous donner des précisions sur lui. Mistral signale seulement "le mot conservé dans l’expression languedocienne "diable de bitèrna", un grand diable d’enfer" et cite un vers de Rainols d’Apt (Xllle siècle):"Cara de boc de bitèrna". Alibert donne comme définition: "localité imaginaire" que lui inspire l’expression très ancienne: "boc de Bitèrna". A la fin du XVIe siècle, dans Jean de Garros, "la mair de Bilèrna" est prise pour la mère des Enfers. Palay reprend cette définition: "sorte de Proserpine" et signale deux expressions prononcées en manière d’imprécation, de jurement: "Que la mair de bitèrna te brulle!" (Que la reine des enfers te brûle!), en Armagnac, et : "patac de bitèrna!" (comme en français: tonnerre!), en Lavedan.

Puisque l’on sait que la "lande du bouc" était le lieu où se tenait le Sabbat sous la présidence de Lucifer déguisé en bouc, on peut traduire "boc de Bitèrna" par Lucifer, Bitèrna étant peut-être sa mère?

" LA CAMA-CRUSA "

Textuellement, la jambe crue. Etre imaginaire pour faire peur aux petits enfants, croquemitaine. Signalé dans Palay pour la Gascogne, Mistral ta cantonne à Toulouse. Un des contes de Bladé lui est consacré.

" LA MIARAUCA "

On disait aussi "marranca". Peut-être à l’origine disait-on "miarranca" et les deux termes n’en seraient qu’une déformation. Même définition que pour la "cama-crusa". Nous ignorons l’origine de ce nom. On représentait la "miarauca" rôdant le soir autour des métairies et des meules de paille.

" LO LOP-PAUMER " (LE LOUP-GAROU)

Le loup-garou est l’homme qui, la nuit, se transforme en loup. En Lomagne occidentale comme dans le reste de la Gascogne, on dit "lop-garon". seul mot utilisé par Bladé. Alibert ne signale pas d’autre terme dans le Languedoc, alors que Mistral indique "lop-paumèr" pour le Quercy, contrée voisine de la Lomagne, où on l’utilisait également dans la partie orientale.

"LO MANDAGOT"

On disait aussi "lo mandragot". Petit démon que l’on ne pouvait rencontrer que la veille de la Saint-Jean. Celui qui avait cette aubaine devenait riche à l’instant s’il y consentait, mais en contrepartie il était son esclave. Lorsqu’il en avait la fantaisie, le diablotin envahissait la maison, se suspendait aux doigts de sa victime et en suçait le sang jusqu’à la mort. II y avait l’expression: `Qu’a lo mandagot!" (II a une chance insolente!).

" LO DRAC "

C’était un lutin,. un farfadet, plus espiègle que méchant. En Lomagne. il tressait la crinière et la queue des chevaux. Un conte de Bladé rappelle les mauvais tours qu’il avait joué à un maquignon de Poupas.

" LO FISICIEN " (LE PRESTIDIGITATEUR)

En marge de ce domaine. nous rangerons le prestidigitateur auquel les gascons donnaient le nom que portait le médecin au Moyen-Age : "lo fisicièn" preuve qu’à cette époque la médecine relevait beaucoup de la magie.

On raconte qu’autrefois, un jour de foire, à Lavit. une foule rassemblée regardait avec étonnement une femme qui menait un coq traînant une poutre. Survient une autre femme qui portait sur la tête une charge d’herbes ("un aubiat") dans laquelle. disait-on, il y avait un animal venimeux (crapaud, serpent,....). "Que faites-vous tous, là?" leur dit-elle. Nous regardons répondirent-ils, ce coq qui traîne une poutre". "Que dites-vous, reprit-elle, moi je vois un coq qui traîne une paille!".

PLANTES MAGIQUES

Outre les vertus médicinales des plantes dont nous avons déjà parlé au chapitre de la flore et à celui de la santé, nous avons recueilli en Lomagne orientale deux expressions qui laissent penser qu’à certaines on attribuait un pouvoir magique.

"Es arribat coma un paquet de bonas èrbas" (Il est arrivé comme un paquet de bonnes herbes). On disait aussi "un floc de bonas èrbas". Quelles étaient ces "bonnes herbes"? Quelles étaient leur vertu? Le sens de l’expression laisserait supposer une idée de chance, de porte-bonheur.

"L’aurén pas milhor trobat quan l’aurén cercat dambe una branca de higuèr" (On ne l’auraü pas mieux trouvé quand même on l’aurait cherché avec une branche de figuier): le bois de cet arbre devait sans doute faciliter la recherche des objets perdus, entre autre.

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