LA VIE QUOTIDIENNE |
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CROYANCES ET SUPERSTITIONS Nous consignons ici seulement les croyances et superstitions que
nous avons recueilli auprès de personnes dont la sincérité ne pouvait être mise en
doute. Nous complétons par quelques précisions lorsque nous sommes en mesure de le
faire. Certaines figurent dans les collectes déjà publiées par des folkloristes,
dautres, par contre, ne figurent pas dans celles que nous avons consulté.
Nous navons pratiquement rien recueilli sur la naissance ou lenfance mais on doit en trouver dans les collectes déjà effectuées, qui avaient cours en Lomagne. Nous en donnons seulement une: Quand un enfant allait pour la première fois dans une maison, on lui donnait un uf pour quil parle plutôt.
Si une personne désirant se marier voulait connaître son futur conjoint (nom, profession, etc...), il devait casser un uf la veille de la Saint-Jean, mettre la glaire dans un verre deau et lexposer dehors pendant la nuit. Le lendemain matin il pouvait lire les renseignements désirés. A léglise, quand le marié passait lanneau au doigt de la mariée, sil sarrêtait avant le dernier nud, elle serait la maîtresse, sil le franchissait, ce serait lui le maître. Au retour du cortège, on plaçait un balais en travers de la porte. Si la nouvelle mariée lenlevait pour passer, elle serait une bonne ménagère; si elle lenjambait, elle serait une " selhana " (une désordonnée). Au moment de franchir le seuil de la maison de son nouvel époux, le maître de maison lui donnait la main.
Lorsque quelquun mourait dans une maison, on arrêtait le balancier de la pendule. On mettait un voile noir devant les ruches sinon les abeilles mouraient. Non seulement on ne travaillait pas avec le bétail, mais on ne le faisait pas sortir de létable. Autrefois quatre hommes portaient le cercueil (" la caisha ", la caisse) sur les épaules de la maison mortuaire à léglise. Ensuite vint la coutume de le transporter avec une charrette à bétail ou une voiture à cheval. Au cimetière, lorsque le cercueil était descendu dans la fosse, chacun des assistants y jetait une petite motte de terre. Certains signes pouvaient annoncer la mort prochaine comme un oiseau venant frapper du bec la vitre de la chambre du futur défunt. La majorité des familles étaient disait-on, lobjet de réclamations doutre-tombe sous les formes les plus diverses quil fallait satisfaire. LA VIE QUOTIDIENNE
On disait que pendant la messe de minuit, le bétail se mettait à genoux et quil arrivait malheur à ceux qui voulaient rentrer dans létable pour le voir. Les paysannes conservaient du charbon de la bûche de Noël. Elles le mettaient dans le vin ou leau quelles donnaient à boire aux petits poussins ou dindons ce qui les protégeaient contre les oiseaux de proie comme la buse.
Les calendes (" las calandras "), daprès les renseignements recueillis en Lomagne orientale, étaient les six jours séparant Noël du Premier de lAn. Le temps quil faisait pendant chacun deux correspondait à celui de chacun des six premiers mois de lannée. Plusieurs signes annoncent la pluie : - lorsque les maisons blanchissent au soleil. - lorsque les pigeons se lavent. - lorsque, dans létable, plus de la moitié des animaux sont couché du même côté. - lorsque les poules se grattent dans la poussière ou séloignent de la maison. - lorsque les meubles craquent. - si on enlève les cendres du foyer le dimanche, il pleut le jour de la lessive. Le vent que lon bénit le jour des Rameaux est celui qui soufflera le plus le restant de lannée. Les orages viennent de ce côté. Ces derniers sont mauvais lorsque les pies construisent leurs nids sur les branches basses. Lorage, le feu du ciel, que souvent les curés dans leurs prêches traduisaient comme la colère de Dieu, était redouté ne serais-ce que pour la destruction des récoltes sur son passage. On pouvait le conjurer avec trois petits grains de sel car il était souverain contre les puissances infernales. On plaçait un morceau de fer dans le nid des glousses pour les protéger. On allumait un cierge dans chaque maison et lon récitait des prières. On prétendait quen faisant du feu on pouvait le chasser. Dans de nombreuses paroisses on sonnait les cloches pendant les orages.
Ce qui annonce un malheur :
Quand une personne dit la même chose quune autre, il faut toucher du bois. MAGIE ET SORCELLERIE Nous avons vu que les apôtres puis les premiers évêques avaient le pouvoir de guérir mais que ces derniers, fussent-ils les plus instruits, étaient de grands superstitieux. Dautre part, pendant des siècles, la médecine " officielle " cantonnée dans les villes, releva davantage de la magie que de la science. Ainsi chacun prétendait soulager et guérir par des moyens le plus souvent inexplicables ou que lon ne tenait pas à expliquer que ce fût le miracle ou la magie. Entre la religion et la science - tout au moins ce quelle représentait alors - sappuyant sur lune et sur lautre, dans chaque communauté même les plus isolées, des hommes et surtout des femmes étaient les détenteurs dun savoir magique qui permettait daffronter, de déjouer ou de neutraliser sinon de vaincre toutes ces forces surnaturelles qui pesaient quotidiennement sur une population aux conditions de vie très précaires. Pénétrons dans ce domaine troublant en compagnie de Dastros, le curé poète de Saint-Clar qui, en 1645, écrivit pour ses paroissiens un catéchisme en gascon ". Ouvrons le à la XXlle leçon. II y est question des "haitilhèrs" (sorciers), "ligaires" (noueurs daiguillettes), "deuins" (devins), "esconjuraires" (exorciseurs), "hasedors de brèus" (faiseurs damulettes) 6. Pour compléter cette panoplie de -haitilherias" (sorcelleries) ajoutons "las hantaumas" (les fantômes), "les charmes" (les charmes), "los espauents" (les épouvantes), "los posoèrs e las posoèras" (les empoisonneurs et empoisonneuses). Nous navons pas retrouvé en Lomagne le terme de "broish" ou de "broisha", utilisé en Béarn et une partie de la Gascogne pour désigner celui ou celle qui avait le pouvoir de guérir. Daprès Cassaignau, le médecin - poète pourfendeur de sorciers et autres guérisseurs, on disait "la broca" ; si le terme nétait guère employé au masculin ("broc"), cest que les femmes étaient majoritaires dans "la profession". Noublions pas quen milieu populaire, malgré sa situation dinfériorité imposée notamment par léglise, elle a joué un rôle important sur le plan moral et éducatif en recevant et en transmettant la culture à laquelle sintégrait plus ou moins le savoir magique. "Elles ont joué, écrit Palay, un rôle important dans notre vie sociale; leur histoire est des plus dramatiques". Cest probablement la raison pour laquelle on injurie plus facilement une femme en la traitant de sorcière, quun homme de sorcier. Pour le brave curé - catéchiste, "son tots de borrèus, sinon deu cos, au mens de lamna" (ils sont tous bourreaux, sinon du corps, au moins de lâme). Cest que pour soigner, ils ne se contentaient pas dutiliser des plantes , des poudres, des pommades, mais ils recommandaient des prières et des messes qui montaient vers Satan et blasphémaient Dieu et les saints . Les plus fins pouvaient sy tromper et des pactes étaient ainsi indirectement passés avec le Diable. II ny avait que lEglise catholique - la XXIe leçon de ce catéchisme met en garde contre les huguenots tous damnés pour lutter efficacement contre tous ces dangers. avec leau bénite et le signe de la croix. Lun et lautre chassaient promptement le diable et protègeraient les gens, les animaux et les récoltes, de tous les maux. Efficaces contre la vermine qui menaçait les fruits et autres végétaux, ils détournaient les coups du ciel, bourrasques et orages. Aussi était-il recommandé de faire le signe de la croix avant et après chaque repas, en se levant et en se couchant, quand on commençait nimporte quelle besogne. Dastros oublie de dire que, depuis la fin du XIVe siècle, lEglise utilisait des méthodes plus radicales qui sapparentaient, en Pays dOc, à celles de lInquisition contre les hérétiques cathares: la chasse aux sorcières. De nombreux procès pour sorcellerie furent intentés s et la Lomagne ny a pas échappé. Comme elle avait vu dans le Catharisme une concurrence redoutable, lEglise nappréciait pas davantage celle du sorcier de village qui jouait un rôle social non négligeable car lon avait souvent recours à lui, même ceux qui publiquement sen défendaient. "Avec des éléments réels du folklore populaire et en saidant de racontars de bonnes femmes sans doute obtenus par la torture, les persécuteurs bricoleurs ont fabriqué la version du sabbat où les participants adorent un Diable-bouc. Le sabbat stéréotype. vulgarisé par les procès, se répand sans tarder dans tout lOccident...". Le registre des procédures juridiques, conservé encore au siècle dernier dans les archives dEscazeaux, a révélé un long procès en sorcellerie vers 1377. Intéressant à plusieurs titres, il y est fait mention des "faxilleras" auxquelles on attribuait le pouvoir doppresser les gens. Lérudit Prosper Dufaur de Larrazet qui consulta ce registre ~ racontait quun vieux domestique de ses connaissances qui prétendait avoir été lobjet dune pareille pression. disait: "Las faxillèras me carcachavan" (les sorcières me pressaient sur le corps).
Tout comme les civilisations grecque et romaine qui restent parmi les plus évoluées. nos ancêtres occitans. dont la leur rayonna sur lEurope médiévale, eurent leur mythologie héritée du fond des âges, en marge du christianisme sur lequel elle empiétait dailleurs souvent. Aujourdhui. par le truchement. de la photo et de laudiovisuel nous recevons des images toutes faites ce qui a rendu notre imagination servile. Autrefois, chacun devait se les créer et comme il ne pouvait sappuyer sur aucune référence. cette création débordait facilement dans le fantastique. II nest que de voir les premières gravures populaires représentant des animaux fabuleux avec des légendes dune naïveté sincère. II est fort probable que les procès de sorcellerie aient contribué à propager des clichés tous prêts chez les moins créatifs car ce que quelquun a vu, les autres , prétendent à leur tour en avoir été les témoins.
Les fées. dorigine orientale. ont été introduites chez nous par les Arabes. Nous avons recueilli peu de renseignements sur elles bien quelles aient tenu une place importante. La toponymie en resta marquée. A Gensac. un champ de la ferme de Ribèra (sur le cadastre), Belle-den-Bas (dans le langage courant), situé en bordure du ruisseau de Saint-Antoine. portait le nom de "camp de las hadas" (champ des fées). Peut-être un lieu où elles se rassemblaient? II ne fallait pas faire la lessive le jour de la sainte Lucie parce quil y aurait eu une femme au coin du feu. Sagissait-il dune fée? dune sorcière?
Dans nos légendes occitanes, elles auraient évoqué les matrones des grands châteaux seigneuriaux qui continuaient, après leur mort de fréquenter, sous forme de fantômes singuliers, les lieux quelles avaient autrefois habités. Cétait généralement des silhouettes drapées de bianc doù leur nom. Au siècle dernier, sur la route de Lavit à Moissac, à hauteur du bois de Gaychanes, on disait que certaines nuits obscures, une Dame blanche se manifestait, faisant peur aux voyageurs et à leurs attelages. Quelquun à qui on lavait raconté voulut savoir sil sagissait dune réalité ou dun supercherie, car à cet endroit, à la même époque on dévalisait Ies gens. Lorsque le fantôme approcha de sa voiture, il le fouetta si violemment quil senfuit en poussant des cris. II paraît que par la suite on ne revit pas la Dame blanche. Rien nindique quen dautres lieux il nen soit pas apparu. II faut dire que certains, plus malfaisants que les esprits en question, abusaient de la crédulité populaire.
Cet animal imaginaire nous a beaucoup intrigué pendant notre enfance car nous lavions découvert dans un conte récité à la veillée sans que lon puisse nous donner des précisions sur lui. Mistral signale seulement "le mot conservé dans lexpression languedocienne "diable de bitèrna", un grand diable denfer" et cite un vers de Rainols dApt (Xllle siècle):"Cara de boc de bitèrna". Alibert donne comme définition: "localité imaginaire" que lui inspire lexpression très ancienne: "boc de Bitèrna". A la fin du XVIe siècle, dans Jean de Garros, "la mair de Bilèrna" est prise pour la mère des Enfers. Palay reprend cette définition: "sorte de Proserpine" et signale deux expressions prononcées en manière dimprécation, de jurement: "Que la mair de bitèrna te brulle!" (Que la reine des enfers te brûle!), en Armagnac, et : "patac de bitèrna!" (comme en français: tonnerre!), en Lavedan. Puisque lon sait que la "lande du bouc" était le lieu où se tenait le Sabbat sous la présidence de Lucifer déguisé en bouc, on peut traduire "boc de Bitèrna" par Lucifer, Bitèrna étant peut-être sa mère?
Textuellement, la jambe crue. Etre imaginaire pour faire peur aux petits enfants, croquemitaine. Signalé dans Palay pour la Gascogne, Mistral ta cantonne à Toulouse. Un des contes de Bladé lui est consacré.
On disait aussi "marranca". Peut-être à lorigine disait-on "miarranca" et les deux termes nen seraient quune déformation. Même définition que pour la "cama-crusa". Nous ignorons lorigine de ce nom. On représentait la "miarauca" rôdant le soir autour des métairies et des meules de paille.
Le loup-garou est lhomme qui, la nuit, se transforme en loup. En Lomagne occidentale comme dans le reste de la Gascogne, on dit "lop-garon". seul mot utilisé par Bladé. Alibert ne signale pas dautre terme dans le Languedoc, alors que Mistral indique "lop-paumèr" pour le Quercy, contrée voisine de la Lomagne, où on lutilisait également dans la partie orientale.
On disait aussi "lo mandragot". Petit démon que lon ne pouvait rencontrer que la veille de la Saint-Jean. Celui qui avait cette aubaine devenait riche à linstant sil y consentait, mais en contrepartie il était son esclave. Lorsquil en avait la fantaisie, le diablotin envahissait la maison, se suspendait aux doigts de sa victime et en suçait le sang jusquà la mort. II y avait lexpression: `Qua lo mandagot!" (II a une chance insolente!).
Cétait un lutin,. un farfadet, plus espiègle que méchant. En Lomagne. il tressait la crinière et la queue des chevaux. Un conte de Bladé rappelle les mauvais tours quil avait joué à un maquignon de Poupas.
En marge de ce domaine. nous rangerons le prestidigitateur auquel les gascons donnaient le nom que portait le médecin au Moyen-Age : "lo fisicièn" preuve quà cette époque la médecine relevait beaucoup de la magie. On raconte quautrefois, un jour de foire, à Lavit. une foule rassemblée regardait avec étonnement une femme qui menait un coq traînant une poutre. Survient une autre femme qui portait sur la tête une charge dherbes ("un aubiat") dans laquelle. disait-on, il y avait un animal venimeux (crapaud, serpent,....). "Que faites-vous tous, là?" leur dit-elle. Nous regardons répondirent-ils, ce coq qui traîne une poutre". "Que dites-vous, reprit-elle, moi je vois un coq qui traîne une paille!".
Outre les vertus médicinales des plantes dont nous avons déjà parlé au chapitre de la flore et à celui de la santé, nous avons recueilli en Lomagne orientale deux expressions qui laissent penser quà certaines on attribuait un pouvoir magique. "Es arribat coma un paquet de bonas èrbas" (Il est arrivé comme un paquet de bonnes herbes). On disait aussi "un floc de bonas èrbas". Quelles étaient ces "bonnes herbes"? Quelles étaient leur vertu? Le sens de lexpression laisserait supposer une idée de chance, de porte-bonheur. "Laurén pas milhor trobat quan laurén cercat dambe una branca de higuèr" (On ne lauraü pas mieux trouvé quand même on laurait cherché avec une branche de figuier): le bois de cet arbre devait sans doute faciliter la recherche des objets perdus, entre autre. |
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